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QUID DE LA SUSPENSION DES LOYERS COMMERCIAUX DURANT LA PERIODE COVID 19

[14/12/2020]

Ni l’exception d’inexécution ni la force majeure ni le fait du prince ne peuvent être invoqués avec succès par le locataire commerçant pour se soustraire au paiement de son loyer en période de covid-19.

Dans le cadre d’un jugement relatif à l’exigibilité des loyers commerciaux, la cour d’appel de Grenoble Grenoble du 5 nov. 2020 (n° 16/04533) refuse l’exception d’inexécution, la force majeure ainsi que le fait du prince, pour justifier le non-paiement des loyers par le locataire de locaux commerciaux ayant fait l’objet d’une interdiction d’ouverture pendant la crise sanitaire du covid-19.

Cet arrêt, attendu par de nombreux locataires, intervient dans le contexte d’une crise sanitaire sans précédent ayant notamment, compte tenu des mesures administratives prises par le gouvernement, un impact considérable sur l’exploitation des locaux commerciaux.

À l’aune de l’interdiction d’ouverture dont ont fait l’objet bon nombre de commerces, des exploitants, ont tenté de solliciter les mécanismes de droit commun (force majeure, imprévision, exception d’inexécution) afin de se soustraire à leur obligation de payer les loyers dus pendant la période de fermeture. 

L’arrêt de la cour d’appel de Grenoble rapporté illustre parfaitement les difficultés auxquelles étaient et sont encore confrontés les exploitants lorsqu’ils cherchent à s’exonérer du paiement de leurs loyers.

En effet, dans cet arrêt le locataire, en proie aux mesures d’interdiction d’ouverture des résidences de tourisme du fait de la crise sanitaire, a notamment invoqué l’exception d’inexécution, la force majeure ainsi que le fait du prince, pour se soustraire à son obligation de régler les loyers demandés par le bailleur.

Bien que la solution donnée par les juges grenoblois soit sans surprise quant au rejet de l’application des mécanismes de droit commun comme cause exonératoire du paiement des loyers par le locataire, l’analyse faite par les juges au sujet de la force majeure mérite une attention particulière. 

Rappelons que l’article 1218 du code civil dispose qu’il y a « force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur ».

Dans le contexte de la pandémie de covid-19, le critère d’imprévisibilité ne pose plus de question pour les contrats dont la signature est antérieure au début de la crise sanitaire. En revanche, celui de l’irrésistibilité se présente comme le point épineux des locataires cherchant à s’exonérer de leur obligation de paiement des loyers.

Effectivement, pour que le critère de l’irrésistibilité soit retenu, l’exécution de l’obligation doit avoir été rendue impossible par l’événement en question.

Or, pour les choses fongibles telle qu’une somme l’argent, les juridictions ont traditionnellement et constamment jugé que le débiteur d’une telle obligation contractuelle inexécutée ne peut s’en exonérer en invoquant un cas de force majeure (Com. 16 sept. 2014, n° 13-20.306, D. 2014. 2217 , note J. François  ; Rev. sociétés 2015. 23, note C. Juillet  ; RTD civ. 2014. 890, obs. H. Barbier ).

L’arrêt d’espèce, bien que conforme dans sa solution aux jurisprudences antérieures, appréhende le critère de l’irrésistibilité de manière surprenante en retenant qu’ « il n’est pas justifié par l’intimée de difficultés de trésorerie rendant impossible l’exécution de son obligation de payer les loyers. Cette épidémie n’a pas ainsi de conséquences irrésistibles ». Un raisonnement a contrario nous laisse penser que la Cour ne refuse l’application de la force majeure, pour se soustraire à une obligation de paiement, que de manière circonstanciée et qu’en ce que le preneur n’a pas démontré son impossibilité de payer les loyers. 

Pouvons-nous donc considérer que si le preneur avait apporté la preuve de son insolvabilité en raison de la crise sanitaire du covid-19, ce dernier aurait pu s’exonérer de son obligation de payer les loyers au bailleur, par le biais de la force majeure ? 

Sans pour autant conclure à un revirement jurisprudentiel s’agissant d’une obligation de paiement, cette solution semble s’inscrire dans la lignée d’un assouplissement jurisprudentiel du critère d’irrésistibilité. 

Néanmoins, force est de constater qu’en pratique la démonstration de l’irrésistibilité sera extrêmement ardue.

Plus précisément, il faudra non seulement établir l’impossibilité totale et exclusive de payer les loyers, mais surtout le lien de causalité entre cette impossibilité et l’épidémie de covid-19. Il pourra ainsi être difficile de démontrer que l’épidémie en elle-même est la cause directe des pertes financières du preneur, dès lors que ces pertes sont le résultat des mesures administratives prises pour y faire face.

Par ailleurs et en tout état de cause, l’article 1218 du code civil, prévoit le cas de l’impossibilité temporaire de remplir son obligation pour un débiteur : dans un tel cas l’obligation est suspendue, à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Dès lors, il faut noter que si la force majeure était accueillie par les juges pour un tel contexte, elle ne permettrait que de suspendre l’exécution des loyers pour la période de fermeture, ne faisant ainsi que reporter le moment du règlement. 

Une telle décision de la cour d’appel laisse ainsi penser qu’il serait possible d’invoquer la force majeure pour s’exonérer d’une obligation de paiement par les locataires ayant fait l’objet d’une fermeture administrative pendant la pandémie.

Bien que la preuve d’un lien de causalité exclusif entre la pandémie et l’absence de paiement ne soit pas aisée, certains pourraient s’interroger sur la possibilité d’un revirement jurisprudentiel, ayant ainsi, pour conséquence d’accroître les demandes d’exonération de paiement par le mécanisme de la force majeure, devant les juridictions.

 

Source : Article paru dans Dalloz.fr rédigé par Mélody Pagès et Sarah Torrent

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