Le créancier et l’inopposabilité de l’insaisissabilité légale de la résidence principale : l’immeuble c’est OK, le reste, pas touche ! (article du professeur Le Corre paru dans LEXBASE Affaires n° 784
[05/03/2024]
Un commandement de saisie-vente ne peut être délivré par le créancier auquel l’insaisissabilité légale de la résidence principale est inopposable après la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de son débiteur, sur les autres biens de ce dernier. Cass. com., 17 janvier 2024, n° 22-20.185Chacun connaît désormais le caractère relatif de l’insaisissabilité légale de la résidence principale : insaisissable par certains créanciers, ceux dont la créance professionnelle est née après le 7 août 2015, l’immeuble demeure au contraire saisissable par tous les autres.
Chacun sait aussi que, selon une solution désormais bien établie, dès lors qu’il existe au moins un créancier de chacune des deux catégories, le liquidateur ne peut saisir l’immeuble de l’entrepreneur individuel et le vendre. L’immeuble a en effet cessé d’être un élément du gage commun des créanciers, gage accessible en théorie à tous les créanciers, et échappe en conséquence à l’effet réel de la procédure collective.
Mais si ces créanciers chanceux qui peuvent continuer à saisir l’immeuble, peuvent ainsi se faire payer, encore faut-il préciser l’assiette de leurs prérogatives. C’est l’objet de l’arrêt, qui apporte la solution alors que la procédure de liquidation judiciaire avait déjà été clôturée. Même si la solution que pose l’arrêt ne surprend guère, le mérite de l’arrêt commenté est de venir le préciser explicitement.
En l’espèce, les 27 mai et 22 juillet 2016, M. U. a été mis en redressement judiciaire, puis en liquidation judiciaire. La procédure a été étendue à Mme U. le 16 septembre suivant. La procédure a été clôturée pour insuffisance d'actif le 3 avril 2018.
La Caisse de crédit mutuel de Sévigné (la banque) a déclaré au passif de la procédure une créance née d'un prêt hypothécaire qu'elle avait consenti aux débiteurs le 23 mars 2001 pour l'achat de leur résidence principale.
Le 1er juillet 2020, la banque a fait délivrer à M. et Mme U. un commandement de payer aux fins de saisie-vente, pour obtenir paiement d'une certaine somme.
Le 30 juillet 2020, ces derniers ont fait assigner la banque devant le juge du litige en nullité du commandement, puis, devant la cour d'appel, ils en ont demandé, subsidiairement, la mainlevée.
La cour d’appel [1], contre toute attente, ne va pas faire droit à leur demande. Ils vont alors se pourvoir en cassation en soutenant que « le commandement de payer aux fins de saisie-vente ne concerne pas le droit de poursuite sur l'immeuble ; que la cour d'appel a constaté que les commandements litigieux n'étaient pas des commandements aux fins de saisie immobilière mais des commandements aux fins de saisie-vente qui ne concernent pas le droit de poursuite sur l'immeuble ; qu'en retenant cependant, pour refuser la mainlevée des commandements de saisie-vente, qu'ils avaient pour but d'interrompre la prescription et de pouvoir ainsi reprendre la saisie immobilière pour avoir paiement de la créance, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L. 643-11 du Code de commerce ».
La Cour de cassation va logiquement être sensible à l’argumentation des deux époux. Au visa des articles L. 526-1 et L. 643-11 du Code de commerce et des articles L. 221-1 du Code des procédures civiles d'exécution, elle va juger qu’« il résulte des deux premiers textes susvisés que le créancier auquel l'insaisissabilité de plein droit de la résidence principale du débiteur est inopposable peut, même après clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, exercer son droit de poursuite sur l'immeuble qui n'est pas entré dans le gage commun des créanciers de la liquidation judiciaire. Il ne peut, en revanche, après cette clôture, en dehors des exceptions prévues au deuxième des textes visés, recouvrer l'exercice individuel de ses actions.
En conséquence, un commandement de saisie-vente, qui, selon les deux derniers textes susvisés, est un acte qui engage la mesure d'exécution forcée, ne peut être délivré par ce créancier, après la clôture pour insuffisance d'actif de la liquidation judiciaire de son débiteur, sur les autres biens de ce dernier.
Pour rejeter la demande de M. et Mme U., l'arrêt, après avoir relevé que la créance de la banque, antérieure au jugement d'ouverture, avait été déclarée à la procédure collective, retient que la banque, qui a financé la résidence principale des époux, n'est pas un créancier antérieur au sens de l'article L. 643-11 du Code de commerce et conserve en conséquence la possibilité de poursuivre la procédure de saisie de l'immeuble financé. Il en déduit que le commandement de payer aux fins de saisie-vente, qui avait pour seul objet d'interrompre la prescription, se fonde sur un titre exécutoire, à savoir l'acte authentique du 23 mars 2001, accompagné d'un décompte des sommes dues et qu'il n'est donc pas irrégulier.
En statuant ainsi, alors que ce commandement aux fins de saisie-vente était privé d'effet pour avoir été délivré après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d'actif, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».
Le créancier qui a financé l’immeuble d’habitation est un créancier personnel. Par conséquent, peu importe la date de naissance de sa créance. Il conserve le droit de saisir l’immeuble.
Mais c’est là son seul droit. En effet, dès lors que ce créancier est antérieur au jugement d’ouverture, il est comme tous les autres créanciers, concernés par la discipline collective. Il ne peut donc être payé individuellement, et subit la règle de l’arrêt des poursuites individuelles et des mesures d’exécution. Cette règle n’est écartée pour lui que pour autant qu’il est question de lui permettre d’effectuer la saisie de l’immeuble, qui n’est pas un élément du gage commun et échappe en conséquence à l’emprise de la procédure collective, à son effet réel. Voilà pourquoi le créancier a le droit d’obtenir un titre fixant sa créance et lui permettant d’effectuer la saisie de l’immeuble. Mais là s’arrêtent ses prérogatives.
Qu’il ait le droit de se faire payer, c’est exact, mais ce droit ne peut donc s’exercer que sur des éléments qui échappent à l’emprise de la procédure collective, à son effet réel. C’est le cas de l’immeuble insaisissable, qui n’est pas un élément du gage commun, dès lors qu’il existe au moins un créancier appartenant à la catégorie de ceux qui ont conservé le droit de saisir l’immeuble, et un créancier ayant perdu ce même droit.
Par conséquent, ce créancier ne saurait poursuivre en paiement le débiteur. Son droit se limite à obtenir un titre fixant sa créance. Il ne peut demander sa condamnation au paiement. Après avoir affirmé que pareille demande était irrecevable [2], la Cour de cassation, complaisante à l’endroit de ce créancier, a admis qu’il était possible au juge du fond de requalifier la demande par lui présentée en une demande tendant à la fixation de sa créance et lui permettre ainsi d‘effectuer sa saisie [3].
Corolaire de la règle de l’interdiction des paiements, la règle de l’arrêt des mesures d’exécution le frappe aussi, dès lors que la mesure d’exécution porte sur autre chose que l’immeuble. Et c’est pourquoi il est jugé, en l’espèce, qu’il ne saurait pendant la procédure collective, pratiquer une saisie-vente sur un autre bien meuble du débiteur.
Peu importe que la finalité de cette saisie soit de capter cet élément d’actif ou, comme c’était le cas en l’espèce, d’interrompre la prescription de l’action en saisie immobilière. Cette saisie étant interdite en vertu de l’article L. 622-21, II du Code de commerce , elle ne saurait interrompre la prescription. Cet effet interruptif ne peut en effet se produire lorsque l’acte interruptif est frappé d’irrecevabilité, ce qui est le cas en l’espèce, puisque, portant sur un élément du gage commun et effectué par un créancier antérieur à l’ouverture de la procédure collectivité, il est pratiqué en violation des règles de la discipline collective et, plus précisément, en infraction à la règle de l’interdiction des mesures d’exécution.
Le fait que cette saisie-vente ait été pratiquée après la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire ne change rien à l’affaire.
On rappellera d’abord que la Cour de cassation, par un arrêt récent, a admis la possibilité pour le créancier auquel l’insaisissabilité légale est inopposable d’effectuer la saisie immobilière même après la clôture pour insuffisance d’actif de la liquidation judiciaire [4]. N’ayant jamais perdu le droit de poursuivre le débiteur sur l’immeuble, il ne peut être concerné par une règle qui lui interdirait de retrouver son droit.
Mais ce droit de poursuivre après la clôture de la liquidation judiciaire est circonscrit à l’exact domaine qui existait pendant la procédure collective : l’immeuble légalement insaisissable.
Le créancier, qui ne pouvait, en vertu de la règle de l’arrêt des mesures d’exécution, pratiquer une saisie-vente sur un autre bien du débiteur, constituant un élément du gage commun, ne retrouve pas ce droit à la clôture. Par conséquent, sa saisie-vente irrecevable pendant la liquidation judiciaire le demeure après la clôture.
On comprend ainsi que ce qui est saisissable pendant la procédure collective, par ce qu’échappant à l’emprise de la procédure collective, échappant à son effet réel, demeure saisissable après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif. C’est le cas de l’immeuble d’habitation pour le créancier ayant conservé le droit de le saisir. Au contraire, le créancier qui n’avait pas le droit d’exercer des saisies pendant la procédure collective, parce que la procédure collective produit elle-même un effet de saisie – c’est l’effet réel –, ne peut prétendre le faire après la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actif.