UN AVOCAT AU SERVICE DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ

La sanction du dirigeant d’une entreprise en difficulté : un épouvantail redoutable et flou

[10/09/2023]

Article paru dans LEXBASE par Georges Teboul, Avocat à la cour, AMCO

L’une des premières questions posées par un dirigeant à son conseil concerne sa responsabilité personnelle, qu’il a souvent du mal à percevoir tant les réponses qui lui sont données ne lui apparaissent, le plus souvent, pas claires.

Il faut reconnaître que cette matière est complexe et que le flou des textes peut créer une insécurité juridique et des divergences d’appréciation parfois difficilement compréhensibles.

Heureusement, le plus souvent, les juges sont rompus à la gestion d’une entreprise et à la bonne connaissance des risques que doit prendre un entrepreneur, ce qui permet de tempérer cette incertitude, qui demeure pourtant.

Il faut donc revenir sur ce sujet, abondamment labouré et étudié, mais jamais totalement éclairci.

La responsabilité pour insuffisance d’actif

L’article L. 651-2 du Code de commerce  nous indique qu’en cas de liquidation judiciaire d’une personne morale ou d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut mettre à la charge de la personne concernée une insuffisance d’actif en tout ou partie, qu’il s’agisse de dirigeants de droit ou de fait.

Il s’agit de ceux qui ont contribué à cette insuffisance d’actif en commettant une faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, ils peuvent être déclarés solidairement responsables. Ce principe a été atténué par une loi (loi n° 2021-874 du 1er juillet 2021 ) en cas de simple négligence dans la gestion de la personne morale, ce qui interdirait en principe toute poursuite contre le dirigeant concerné. Cette action est prescrite par 3 ans à compter du jugement prononçant la liquidation judiciaire et les sommes versées par les dirigeants ou l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée entrent dans le patrimoine du débiteur et sont réparties au marc le franc entre tous les créanciers.

Il faut que le lien de causalité entre la faute et l’insuffisance d’actif soit bien établi 

Les sanctions personnelles

L’article L. 653-2 du Code de commerce  dispose qu’une faillite personnelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute entreprise ayant toute autre activité indépendante et toute personne morale.

Les cas de faillite personnelle sont limitativement énumérés à l’article L. 653-3  et concernent la poursuite abusive d’une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu’à la cessation des paiements, les détournements d’actifs ou l’augmentation frauduleuse du passif ou l’usage des biens ou du crédit d’entreprise ou du patrimoine à un usage contraire à l’intérêt de l’entreprise ou du patrimoine à des fins personnelles ou pour favoriser une personne morale ou une entreprise dans laquelle le débiteur est intéressé directement ou indirectement ou un patrimoine distinct lui appartenant. Cela concerne en outre l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ou un entrepreneur individuel relevant du statut défini par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 (article 5 en vigueur depuis le 15 mai 2022). Là encore, la prescription est de 3 ans.

L’article L. 653-4  vise la faillite personnelle de tout dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale contre lequel 5 séries de faits sont relevées, étant précisé que l’article L. 653-3 concerne les personnes visées à l’article L. 653-1, I, 1° . L’article L. 653-4 concerne les mêmes faits pour les personnes morales. La Cour de cassation applique strictement les cas énumérés : ainsi, l’absence de suivi juridique ne figure pas parmi les causes énumérées de l’interdiction de gérer, celles-ci étant limitatives.

La faillite personnelle est aussi permise pour les personnes qui n’auraient pas acquitté les dettes mises à leur charge par l’article L. 653-6 .

Sur la compétence, le tribunal peut être saisi par le mandataire judiciaire, le liquidateur ou le ministère public dans les cas prévus aux articles L. 653-3 à L. 653-6 et L. 653-8 .

En outre, les contrôleurs ont un droit d’action lorsque le mandataire de justice n’a pas engagé l’action après une mise en demeure restée sans suite (C. com., art. R. 653-2).

Précisons que l’interdiction de gérer ne se distingue plus de la faillite personnelle, dès lors qu’ont été supprimées les déchéances automatiques attachées à cette dernière (C. com., art. L. 653-10 N) sinon que l’interdiction de gérer ne fait plus partie des cas de reprise des poursuites individuelles après clôture pour insuffisance d’actif (C. com., art. L. 643-11, III, 1° ). Cette différence ne concerne en réalité que les débiteurs personnes physiques.

En effet l’article L. 653-8 prévoit l’interdiction de digérer, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci. Cela concerne aussi les personnes qui n’ont pas remis au mandataire judiciaire les éléments demandés en application de l’article L. 622-6  dans le mois suivant le jugement d’ouverture ou qui ont sciemment manqué à l’obligation d’information prévue par l’article L. 622-22, alinéa 2 .

Cette sanction peut aussi être prononcée à l’égard de toute personne ayant omis sciemment de demander l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements sans avoir par ailleurs demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation.

En outre, le tribunal qui prononce la faillite personnelle peut prononcer l’incapacité d’exercer une fonction publique élective pour une durée égale à celle de la faillite personnelle dans la limite de 5 ans (C. com., art. L. 653-10).

L’article L. 653-11  prévoit la durée de la mesure de faillite personnelle ou de l’interdiction qui ne peut être supérieure à 15 ans et pour laquelle l’exécution provisoire peut être ordonnée. Ce même article vise les cas permettant d’être relevés des déchéances et interdictions et de l’incapacité d’exercer une fonction publique élective, soit du fait de la clôture pour extinction du passif, soit si l’intéressé propose d’apporter une contribution suffisante au paiement du passif, ce qui sera bien entendu apprécié par le tribunal.

La faillite personnelle ou l’interdiction de gérer peut-être prononcée même après la clôture de la liquidation judiciaire, dès lors que le délai de prescription est respecté et que les sanctions ont été demandées avant cette clôture.

En outre, en ce qui concerne l’interdiction de gérer, le dirigeant doit démontrer qu’il présente toute garantie démontrant sa capacité à diriger ou contrôler l’une ou plusieurs des entreprises ou personnes visées par l’article L. 653-8.

Les études et les publications sur ces sujets sont légion. Comment permettre à un dirigeant souvent paniqué de s’y retrouver ?

La banqueroute

Bien qu’elle soit en dehors de notre étude, il convient de la citer et de rappeler l’article L. 654-2 du Code de commerce  prévoyant 5 cas sur les moyens ruineux ou des achats pour revendre au-dessous du cours, les détournements d’actif, l’augmentation frauduleuse du passif, la comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière. Ces faits sont en effet punissables pénalement par 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende selon l’article L. 654-3 . Là encore, la jurisprudence est abondante, avec notamment l’indication récente que le défaut de paiement des cotisations sociales peut-être analysé comme une augmentation frauduleuse du passif, si c’est par omission délibérée dans le cadre d’avances de trésorerie à une autre société.

Quelques principes utiles

Soulignons en premier lieu que pour l’action en comblement de l’insuffisance d’actif, il convient de prendre en compte uniquement le passif antérieur à l’ouverture de la procédure collective.

Le fait de pouvoir punir un dirigeant qui aurait simplement contribué à créer l’insuffisance d’actif peut aboutir à des situations délicates : cette « contribution » suppose qu’il existe d’autres causes qui pourraient, par exemple, relever d’une conjoncture difficile ou de non-paiement par les clients, alors même que la totalité de l’insuffisance d’actif serait supportée par le dirigeant. C’est la raison pour laquelle, des réformes sont souhaitées depuis plusieurs années. La théorie de l’équivalence des conditions peut en effet aboutir à des situations injustes.

C’est aussi la raison pour laquelle le principe de proportionnalité est apparu : depuis un arrêt du 15 décembre 2009.

Cette proportionnalité ne s’applique cependant que lorsque plusieurs fautes de gestion sont retenues, ce qui implique que chacune soit légalement justifiée et que dans l’hypothèse où l’une ou plusieurs de ces fautes ne seraient pas constituées, le montant de la condamnation aurait vocation à être naturellement réduit. Cette limitation des effets de la proportionnalité n’est pas satisfaisante. Il serait plus simple et plus juste que le dirigeant soit puni en proportion de la gravité de sa faute et en relation avec l’augmentation du passif qui lui est directement imputable.

Les dirigeants sont, par principe, exclus de la répartition lorsqu’ils sont créanciers de la personne morale. Le dirigeant condamné ne peut en effet récupérer une partie de la somme qu’il a versée à ce titre. Cela peut aboutir à une situation injuste, le dirigeant devant supporter plus que le montant de l’insuffisance d’actif, dès lors que sa créance a été prise en compte.

En cas d’extinction du passif, le dirigeant associé devrait pouvoir participer à la répartition du boni de liquidation.

Rappelons que les dirigeants d’une société faisant l’objet d’une procédure collective peuvent être assignés en responsabilité par un associé si les faits sont antérieurs à l’ouverture de la procédure dès lors que l’associé peut établir un préjudice personnel distinct de celui subi par la personne morale [10].En pratique, cette preuve est difficile à constituer.

Il faut rappeler que ne sont pas dirigeants de droit les membres des organes légaux de surveillance. Mais, le directeur général délégué d’une société anonyme est bien un dirigeant de droit et peut donc engager sa responsabilité pour les fautes de gestion commises dans l’exercice des pouvoirs délégués . Les administrateurs sont aussi, bien entendu, des dirigeants de droit.

Bien entendu, le juge doit rechercher si l’insuffisance d’actif existait au moment de la cessation des fonctions de l’ancien dirigeant mis en cause.

Les dirigeants de fait exercent une activité positive et indépendante dans l’administration générale d’une société.

C’est aussi dans ces conditions que l’on apprécie l’immixtion dans la gestion d’une entreprise.

Pour être sanctionnable, la faute de gestion doit avoir été commise avant l’ouverture de la liquidation judiciaire. À cet égard, des fautes de gestion commises pendant la période d’observation ou en cours d’exécution du plan peuvent être prises en considération lorsqu’elles sont antérieures au jugement de liquidation judiciaire.

Le caractère multiforme de la faute de gestion

La faute de gestion ne comporte aucune définition précise, ce qui est un problème car elle est soumise à la qualité de jugement de ceux qui l’apprécient. Plusieurs critères peuvent cependant être mis en évidence après examen de nombreuses décisions de jurisprudence :

- La rapidité de la réaction et son adaptation au problème : un dirigeant qui va s’abstenir de répondre dans un délai raisonnable et ainsi provoquer par son abstention une aggravation du passif sera, en général, estimé responsable.

- Les mesures prises doivent être adaptées et proportionnées aux problèmes rencontrés : c’est par exemple la question de la détermination du périmètre d’un plan social et de l’adéquation entre les mesures prises (renégociation des baux, abandon des locaux, cession de certains éléments d’actif, etc.) et la gravité des difficultés constatées. Les mesures doivent être adaptées et modulées.

Souvent, le dirigeant va se déterminer en fonction d’éléments prévisionnels qui peuvent être ensuite remis en cause surtout lorsque les objectifs fixés n’ont pas été atteints, ce qui permettra a posteriori de les estimer inadaptés ou inatteignables.

La difficulté vient de ce que les dirigeants sont naturellement amenés à prendre des risques qui pourront apparaître ultérieurement comme étant excessifs, notamment au titre d’investissements qui se révèleront trop onéreux, improductifs ou hasardeux. Cet examen a posteriori peut à cet égard comporter de nombreux inconvénients pour le dirigeant. Il sera donc bien avisé en cas de difficulté avérée de recourir à un cadre préventif à la fois pour prendre la « photographie » de la situation à cette époque, mesurer la pertinence des éléments prévisionnels établis ainsi que la capacité de l’entreprise à parvenir d’une manière crédible à une exploitation pérenne.

En cas d’échec, ces éléments pourront s’avérer précieux en tenant compte bien entendu de la confidentialité de la prévention, ce qui ne doit pas empêcher un dirigeant d’avoir les moyens de se défendre.

À cet égard, une jurisprudence ancienne relève qu’un dirigeant n’a pas mis en place des outils de gestion fiables permettant d’appréhender la situation exacte et de prendre en temps utile, les mesures de redressement qui s’imposaient.

Les modes de financement choisis peuvent aussi présenter une cause de difficulté, notamment si la poursuite d’une activité déficitaire se situe dans le cadre d’une charge imposée au profit d’une autre société du groupe en excédant les possibilités financières.

Il faut rechercher les moyens d’augmenter le capital nécessaire à la survie de la société. Il faut aussi prendre la peine de consulter les associés pour qu’ils se prononcent sur la poursuite de l’activité, conformément à l’article L. 223-42 du Code de commerce  à la suite d’une perte supérieure à la moitié du capital social, ce qui implique qu’une recapitalisation soit faite en temps utile .

Il faut aussi examiner avec circonspection la souscription d’emprunts disproportionnés avec la capacité de remboursement des sociétés du groupe, la tolérance sur des délais de paiement anormalement longs par une autre société, ce qui a provoqué des impayés irrécouvrables, d’une distribution exceptionnelle de dividendes privant la société d’une part importante de ses réserves.

Il faut se défier de la tolérance qui a été introduite sur la notion de simple négligence. En effet, par exemple, une absence de déclaration de cessation des paiements pendant plus de 2 mois n’a pas été reconnue comme une simple négligence eu égard aux difficultés financières et à l’endettement de la société.

Un simple manque de vigilance n’est cependant pas une faute de gestion.

On le voit, l’arsenal est à la fois complexe et redoutable et la liste des décisions rendues est interminable et sans cesse renouvelée.

En cas de difficulté avérée, le dirigeant serait donc bien inspiré de :

- demander l’ouverture d’une procédure de prévention pour se placer sous la protection du tribunal, valider ses éléments prévisionnels ainsi que leur capacité à provoquer une solution crédible, ce qui implique un examen de ses comptes, de leur fiabilité et le cas échéant, une sensibilisation des prévisions pour conforter les propositions formulées. Si la situation est trop dégradée, une procédure collective sera choisie en respectant le délai de 45 jours pour le redressement judiciaire, ou en cas de difficulté ne relevant pas de la prévention pour la sauvegarde. Si la poursuite de l’activité n’est plus possible, il faudra se résoudre à demander la liquidation judiciaire ;

- à défaut, il pourra être reproché au dirigeant une procrastination, une aggravation du passif et des fautes de gestion qui pourraient provoquer de lourdes condamnations. À cet égard, il n’est pas bien difficile d’établir un lien de causalité entre une faute et une insuffisance d’actif, dès lors qu’une simple contribution à cette insuffisance est estimée valable pour justifier une condamnation.

En définitive, la sanction est la meilleure incitation à la prévention, si elle est bien comprise par le dirigeant, souvent paralysé par un exposé effrayant qui ne doit pas le décourager de demander en temps utile au tribunal la protection de son entreprise.

NOUS CONTACTER

* Les champs suivis d'un astérisque sont obligatoires.

Conformément à la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, et au règlement européen 2016/679, dit Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD), vous disposez d'un droit d'accès, de rectification, de suppression des informations qui vous concernent.
Vous pouvez exercer vos droits en vous adressant à : CABINET SROGOSZ - Centre d’Affaires Eisenhower - 12 avenue Eisenhower - 84000 AVIGNON