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La demande en restitution du crédit-bailleur : une faculté… obligatoire pour conserver le bénéfice du cautionnement (Cass. com., 8 novembre 2023, n° 22-13.823)

[25/11/2023]

Si la demande de restitution d'un bien, objet d'un contrat publié, fondée sur les articles L. 624-10 et R. 624-14 du Code de commerce, ne constitue qu'une faculté pour son propriétaire, ce dernier, lorsque sa créance est garantie par un cautionnement, commet une faute, au sens de l'article 2314 du Code civil, si, en s'abstenant d'exercer l'action en restitution, il prive la caution d'un droit qui pouvait lui profiter.

Lorsque le débiteur principal a fait l’objet d’une procédure collective, le crédit-bailleur peut, comme tout créancier, mesurer l’intérêt d’avoir obtenu l’engagement d’une caution solvable. Encore faut-il cependant qu’il n’ait pas privé la caution d’une subrogation dans un droit pouvant lui profiter. On sait en effet qu’aux termes des dispositions de l’article 2314 du Code civil, « Lorsque la subrogation aux droits du créancier ne peut plus, par la faute de celui-ci, s'opérer en sa faveur, la caution est déchargée à concurrence du préjudice qu'elle subit ».

Une intéressante illustration de l’application de cette disposition, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 15 septembre 2021 relative aux sûretés (ordonnance n° 2021-1192, apparaît dans un arrêt rendu le 8 novembre 2023 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation.

En l’espèce, en 2007, la société Sogelease avait accordé à une entreprise un contrat de crédit-bail dont l’exécution était garantie par le cautionnement solidaire de deux époux. En 2009, le crédit-preneur avait fait l’objet d’une procédure de redressement convertie en liquidation judiciaire, procédure dans le cadre de laquelle le crédit-bailleur avait déclaré sa créance en demandant au mandataire judiciaire puis au liquidateur de lui indiquer « les modalités de récupération de [ses] matériels entre les mains de la société [débitrice] », sans que cette demande ait été suivie d’effet.

Le crédit-bailleur a assigné les cautions en paiement des sommes dues au titre du contrat. Pour résister à cette demande, les cautions avaient notamment prétendu être déchargées sur le fondement de la perte du bénéfice de subrogation visé à l’article 2314 du Code civil en reprochant au crédit-bailleur d’avoir omis de poursuivre la restitution du matériel, inaction qui a duré pendant plus de dix années.

La cour d’appel avait rejeté cette demande de décharge. Statuant sur le pourvoi formé par les cautions, la Chambre commerciale de la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel en reprochant aux juges du fond de ne pas avoir recherché, comme ils y étaient invités, « si, en omettant de poursuivre la restitution du matériel, objet du contrat de crédit-bail, dans les conditions prévues à l’article R. 624-14 du Code de commerce , la société Sogelease n’avait pas fait perdre aux cautions un droit qui pouvait leur profiter ».

Cet arrêt met en évidence que la demande en restitution, pourtant facultative, en application de l’article L. 624-10 du Code de commerce , dans les rapports entre le crédit-bailleur titulaire d’un contrat publié et la procédure collective, devient cependant obligatoire pour le crédit-bailleur qui entend poursuivre efficacement la caution.

La solution doit être approuvée sans réserve. En effet, l’article 2314 du Code civil accorde à la caution une décharge lorsque le créancier ne conserve pas ses droits. Cette déchéance trouve notamment son explication dans le fait que la caution ne doit pas, par prin­cipe, contribuer à la dette, mais seulement faire une avance de fonds pour le débiteur.

La déchéance existe dès qu’il est possible d’imputer au créancier l’impossibilité de subroger la caution dans un « droit susceptible de conférer à son titulaire une facilité plus grande dans la perception de sa créance » 

Cette notion s'entend très largement, comme en témoigne la jurisprudence rendue en la matière à laquelle vient s’ajouter cet arrêt du 8 novembre 2023.

En l’espèce, le droit dont il s’agissait est celui de voir la dette réduite par l’effet de la récupération rapide d’un bien dont le prix de revente peut être déduit du montant de la créance issue du contrat de crédit-bail.

On sait en effet que les contrats de crédit-bail contiennent une clause de style prévoyant qu’en cas de résiliation du contrat une indemnité est due. Cette indemnité intègre notamment l’intégralité des loyers prévus au contrat, déduction faite du prix de revente du bien crédit-baillé. On comprend alors que, pour que cette déduction soit à la fois effective et optimale, il est indispensable que le crédit-bailleur ait rapidement récupéré le matériel qui est sa propriété.

Certes, dans le cadre de la procédure collective, les propriétaires titulaires d’un contrat publié, comme le sont les crédit-bailleurs, sont dispensés d’avoir à revendiquer (C. com., art. L. 624-10) mais ils peuvent présenter une simple demande en restitution, laquelle est facultative. Cette demande est classiquement effectuée en deux temps dans les prévisions de l’article R. 624-14 du Code de commerce : d’abord, le propriétaire présente une demande en acquiescement de restitution –adressée au liquidateur si la procédure est une liquidation comme en l’espèce– puis, à défaut d’acquiescement expresse ou de réponse, le propriétaire peut présenter au juge-commissaire une requête en restitution dont la présentation n’est enfermée dans aucun délai puisqu’elle est facultative. Cependant, on perçoit aisément que la diligence du crédit-bailleur est essentielle pour préserver les intérêts de la caution. En l’absence de récupération rapide du bien resté entre les mains du débiteur en liquidation, le bien risque en effet de se déprécier ou de disparaître, réduisant d’autant les chances de voir l’indemnité de résiliation substantiellement diminuée du montant du prix de revente du bien récupéré.

On ne peut donc que saluer la position prise par la Chambre commerciale dans cet arrêt du 8 novembre 2023, laquelle se situe dans la droite ligne de précédents jurisprudentiels qui avaient retenus une décharge de la caution sur le fondement de l’article 2314 du Code civil dans une espèce où le propriétaire avait tardé à reprendre possession de son matériel à la suite de l’ordonnance du juge-commissaire l’y autorisant alors que le bien s’était ensuite déprécié ou avait disparu.

Cette nouvelle décision devra conduire les crédits-bailleurs à se montrer particulièrement diligents dans la récupération de leur matériel afin de préserver l'intégralité de leurs droits à l'encontre de la caution du crédit-preneur.

On notera également un autre intérêt de cet arrêt du 8 novembre 2023 en ce qu’il énonce que les dispositions de l'article L. 341-6 du Code de la consommation relatives à l'obligation d'information annuelle de la caution personne physique sont applicables en faveur de la caution du crédit-preneur qui s'acquitte de loyers.

Cet article est aujourd’hui abrogé mais ses dispositions sont désormais reprises en substance par l’article 2302 du Code civil  entré en vigueur le 1er janvier 2022, lequel prévoit, en son alinéa 1er , que « Le créancier professionnel est tenu, avant le 31 mars de chaque année et à ses frais, de faire connaître à toute caution personne physique le montant du principal de la dette, des intérêts et autres accessoires restant dus au 31 décembre de l'année précédente au titre de l'obligation garantie, sous peine de déchéance de la garantie des intérêts et pénalités échus depuis la date de la précédente information et jusqu'à celle de la communication de la nouvelle information ».

Le crédit-bailleur devra donc veiller à procéder à cette information en l’adaptant cependant à son contrat qui n’est pas un contrat de prêt dont les échéances se décomposent en capital et intérêts mais un contrat de location prévoyant donc des loyers.

En l’absence de résiliation du contrat de crédit-bail, l’information doit évidemment porter sur les loyers échus au 31 décembre de l’année précédente et, le cas échéant, sur les intérêts de retard ayant couru sur ces loyers arriérés. Mais l’information doit-elle également porter sur les loyers « à échoir » après le 31 décembre de l’année précédant l’information ? Par précaution, le crédit-bailleur peut les mentionner dans l’information mais, à notre sens, cette question devrait appeler une réponse négative car ces loyers « à échoir » ne constituent pas des montants « restant dus au 31 décembre » puisque cette créance de loyer n’est pas encore née et ne peut donc être due à cette date. En effet, le fait générateur du loyer est marqué par la jouissance du bien en vertu du contrat en cours et non par la signature du contrat de crédit-bail. Cette créance de loyer « à échoir » ne naîtra d’ailleurs jamais si le contrat se trouve ensuite résilié. Si le contrat est résilié au 31 décembre, l’information devra, en revanche, incontestablement porter sur l’indemnité de résiliation, laquelle intègre contractuellement un montant correspondant aux loyers qui restaient à courir au jour de la résiliation sans en avoir la nature juridique.

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